"moi je ne dors pas et je n'ai pas peur"
Abdelkarim, lui, dit le petit Gandhi, n’avait jamais voyagé. Il était resté attaché à sa caisse de bois, devant le porche de l’université américaine. Il était resté à Beyrouth où il avait exercé tous les métiers avant de mourir sur sa caisse. Cependant, son parcours achevé, Abdelkarim ne savait pas qu’il avait voyagé plus que tous les cireurs de chaussures au monde. Non parce qu’il était venu de Mechta Hassan, un village du Akkar, mais parce que Beyrouth elle-même voyage. On y reste sur place mais on voyage ; ou plutôt c’est la ville qui est emportée par un mouvement perpétuel. Voyez cette ville de Beyrouth… (…) je veux moi aussi voyager. Et c’est ainsi que je me suis aperçu que je creusais le fond d’un puit qui m’avalait.(...)
"Beyrouth était une île, une île au milieu de la mer, posée sur le dos d’un animal monstrueux. Tous les soixante dix ans, la bête bougeait et la ville était renversée. Et chaque renversement rendait plus proche le jour final. Deja sept fois la bête s’était retournée en renversant la ville. Nous en étions au huitième mouvement. (…) Beyrouth fait de tous ceux qui l’habitent ses fils. Mehran Effendi fut le premier à annoncer la catastrophe. Il disait qu’on aimait Beyrouth comme on aime les animaux, que c’était une ville sans passé, sans histoire, qui se retournait sur le ventre et renversait tout. (…) quand l’égyptien lui avait dit que Beyrouth ressemblait à du carton, elle avait eu un sourire dans les yeux. « Tu n’as rien compris mon frère. Qu’est ce que ça veut dire du carton ? Le monde entier est en carton. Mais Beyrouth a ceci de particulier : c’est une ville qui ne dort pas. Même maintenant elle reste éveillée. Qui pourrait dormir, d’ailleurs, dans un endroit ou le sommeil est inconnu ? Vous tous vous etes somnolents parce que vous avez peur. Moi non, je ne dors pas et je n’ai pas peur."
Le petit homme et la Guerre, Elias Khoury.
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