mardi, février 14, 2006

souvenir du Monnot

extrait de "l'amour et les loups de Dieu"


Les bancs du 7ème arrondissement snobent les promeneurs et font pacte avec les pigeons. Il y avait ce corbeau tout gros qui ne voulait pas qu’on le photographie et qui s’esquivait. Sur les bancs des invalides le temps est un luxe.

Mais sur les bancs des invalides j’ai raconté l’histoire du Fantôme du Théâtre Monnot. Cher Gougou fantôme du Monnot, je te salue.

Il y a une meute de chiens qui traîne dans la rue Monnot, la rue de mon théâtre. Parmi eux, il y a une chienne moyenne, blanche, tachetée de noir et qui est très douce. Cette meute entoure un vieux sdf qui fouille les poubelles. Il n’est pas dangereux. Juste un vieux mec anarchiste et solitaire qui fouille les poubelles.

Le soir quand je la trouvais couchée à côté de ma voiture j’avais ce sentiment étrange qui m’étreignait. Ma chienne est vivante. Je ne peux pas trop la gâter parce qu’un jour je vais partir et elle sera de nouveau seule avec d’autres amis éphémères, mais là je me dis, cette chienne me reconnaît et elle va bien et elle se promène dans l’une des plus belles rues de Beyrouth, une rue où le temps parfois risque de s’arrêter. Après le départ des étudiants et les horaires de travail, avant la vie nocturne des fêlés de la nuit, il y a alors ce moment magique de silence qui règne et une rue vide. Un théâtre qui se prépare et des chiens qui dorment. En sortant du théâtre tard la nuit, fatigués, on passe entre des clowns maquillés et grotesques. Nous sommes les fantômes du Monnot.

Un jour, je suis effectivement partie mais en tout cas ma chienne était déjà morte. Renversée par une voiture. Je suis restée à côté d’elle jusqu'à ce qu’elle meure à fond. J’ai regardé la mort dans ses yeux et puis j’ai appelé la municipalité. Sa carcasse ira pourrir dans les décharges publiques de la ville de Beyrouth.

Gougou hante peut être encore les murs, les coulisses, la régie du théâtre Monnot. Peut être aussi qu’il ne hantait que moi et ces quelques fous avec lesquels je travaillais.

Je suis loin, je suis partie, mais un théâtre se transporte dans les doigts. Et mes doigts portent l’empreinte du théâtre Monnot. Faites un tour là bas, vous m’y trouverez, c’est moi le fantôme du Monnot…

(2004/2005)